Ces histoires que vous ne lirez pas : Les Deux Reines

 La plupart des écrivains en ont quelques-uns sous le coude, des textes qui ne sont pas voués à paraître. Il s'agit le plus souvent d’œuvres de jeunesse : des histoires inachevées ou bancales, utiles pour se forger une plume mais qui n'ont pas leur place sous le regard des lecteurs. Chez moi, cet ensemble de fichiers bien cachés a un petit surnom : "Le tiroir des innommables".
 
J'en parle assez librement : j'ai participé à dix éditions du NaNoWriMo, de 2006 à 2015. J'ai réussi le défi les dix fois. Néanmoins, si parfois, cela a donné Et pour quelques gigahertz de plus... ou encore La dernière fée de Bourbon, certaines éditions du défi ont engendré des textes que je ne souhaite pas publier. Dans la plupart des cas, je n'ai même pas essayé.
Aujourd'hui, Les Deux Reines.
 
Ce roman rédigé au cours du NaNoWriMo 2007 s'inspire d'un rêve que j'avais fait quelques semaines auparavant.

J'ai retravaillé ces éléments de départ en y injectant un contexte historique (1962, année forte, en particulier pour la fille de pieds-noirs que je suis), géographique (le patelin s'inspire de celui où habite mon beau-père, d'ailleurs j'ai repris une structure similaire pour le village abandonné dans L'Enceinte 9) et une thématique me permettant une certaine liberté dans la rédaction.
 
Avec le recul, Les Deux Reines est un de mes deux textes les plus clairement inspirés par le travail de Neil Gaiman (avec la nouvelle A3-H6 qui attend toujours sa parution tel Jan attendant son Arlésienne). Je pense que j'avais vu MirrorMask peu de temps auparavant et que l'influence est énorme. Aujourd'hui, rétrospectivement, la partie musicale résonne de façon un peu étrange avec Rêves de Gloire de Roland C. Wagner.
Et aussi un truc foutraque, qui pourrait tenir la route en étant très fortement remanié. La somme de travail serait telle que je ne m'en sens pas le courage.

Vous attendiez l'histoire ? La voici :
1962.
On ne retrouve plus guère les nouveaux-nés sur le parvis des églises, mais c'est parfois arrivé pendant la Seconde Guerre Mondiale. Geneviève, élevée en orphelinat, trouve dès sa majorité un emploi dans un village voisin de celui où le curé l'a trouvée un matin de décembre 1940. En plus de son travail de serveuse, elle s’occupe des enfants du patron, Claire et Christophe, qui ont perdu leur mère il y a deux ans et dont la grand-mère vient de décéder. Claire a presque quatorze ans et voit d’un mauvais œil l’arrivée d’une étrangère ; Christophe, sept ans, l’a au contraire tout de suite adoptée.
 
J'ai sauvegardé cette image comme référence pour la camionnette du patron.

La première partie voit Geneviève se débattre avec sa nouvelle vie, avec l'hostilité de Claire à son égard, l'hypersensibilité de Christophe, et aussi avec la redécouverte d'un pouvoir qu'elle avait oublié : à la frontière entre l'éveil et le sommeil, elle peut communiquer avec l'empreinte que les défunts ont laissée dans les bâtiments où ils vivaient (une sorte de fantôme conscient de ne pas être la personne elle-même). Arrive l'été, l'indépendance de l'Algérie. Christophe dort mal, assailli par des cauchemars. Un orage fend la stèle de Madeleine, leur mère, et Geneviève se glisse dans la maison pour le dire à son fantôme à la faveur de la nuit. Son intervention attire Christophe dans le monde de la frontière, et tous deux sont aspirés par un vortex noir au-dessus du lit de Claire.
La seconde partie se passe dans un monde onirique qui s'avère être l'esprit de Claire. De rivière de larmes en lieux défiant les lois de l'espace-temps, Geneviève et Christophe rencontrent Claire en deux exemplaires : la Maîtresse et la Fille. La première, froide et hautaine, a enfermé la seconde, sensible et triste, en attendant de prendre totalement le pouvoir sur le pays. Eddy, un garde ressemblant étonnamment au jeune chanteur des Chaussettes Noires, veut renverser la Maîtresse. Geneviève veut juste libérer cette enfant qui pleure. L'alliance se noue, et c'est l'affrontement entre les sbires d'une Claire et les alliés de l'autre. L'optimisme de Geneviève et le courage de Christophe finissent par fusionner la Maîtresse et la Fille pour reconstituer la Princesse, scindée en deux par le chagrin d'avoir perdu sa mère et sa grand-mère.
Au réveil, les souvenirs s'estompent. Geneviève espère néanmoins que les enfants iront mieux, et finit le roman sur un rendez-vous galant.
 
Et voilà.
Le texte brasse des thématiques qui me sont toujours chères, emprunte des sentiers que je n'ai pas l'habitude d'arpenter, mais je débutais, je naviguais à vue, je n'avais pas encore pris nombre d'automatismes qui sont aujourd'hui les miens. Donc Les Deux Reines restent dans leur tiroir.
 
On termine sur un extrait, dans son jus :
Elle écouta quelques disques en sourdine sur son vieux Teppaz, toutes lampes éteintes, en surveillant les lumières qui filtraient des fenêtres de la maison des Champlon. Quand toute la propriété fut enfin plongée dans le noir, elle passa encore une chanson avant de redescendre et de traverser la cour. Elle s’était enveloppée dans un drap, plus pour le principe que contre le froid, puisque la nuit était très douce en ce beau mois d’août. Elle n’était pas certaine d’avoir la bonne clef dans son trousseau, mais elle croyait savoir que Pierre ne verrouillait pas la porte de derrière quand elle était là, ne serait-ce que parce qu’elle pouvait avoir besoin de sortir et que les deux seules issues pour quitter la cour étaient la maison familiale et le vieux portail, lourd et bloqué par un cadenas.

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