NaNo extrait 2009.4

Aujourd'hui, ça se tasse. J'ai du mal à aligner plus de mille mots sans avoir l'impression de pédaler dans la semoule. Pourtant, on approche des scènes finales qui sont théoriquement les plus intéressantes : deux grands couillons qui se tatanent en haut de la Tour Eiffel, c'est quand même chouette, non ?
Et là, je ne sais pas, on dirait que j'ai peur de m'attaquer à ce morceau. Procrastination power et tout ça.


Le décor minimaliste de la salle du sous-sol n’était pas au goût du jour dans les étages de la maison. Les cadres de NAXOS, trois femmes pour deux hommes environ, étaient réunis dans la grande salle à manger du premier étage, autour d’une table cirée de frais, au milieu de laquelle trônait une vieille soupière de Gien sur un napperon de dentelle. Les rideaux avaient été tirés pour se protéger des regards indiscrets, mais deux lustres éclairaient vivement la pièce.
Tout le monde était en place, on n’attendait plus que le boss.
La porte du fond finit par s’ouvrir et laisser passer un grand lapin rose, qui traversa la salle d’un pas très digne et se plaça derrière la chaise du président.
« Quelque chose vous fait rire ? » demanda-t-il avec la voix de la première dame.
Le brouhaha qui avait commencé à s’élever s’éteignit aussitôt. Personne ne parla à voix haute, mais quelques courageux tentèrent d’expliquer par gestes que le costume était peut-être de trop.
« Très bien, répondit la dame en ôtant la tête de lapin. Je vois donc que vous êtes d’accord avec moi : pas besoin de décorum spécial méchants pour cette réunion. Notre assemblée a l’air d’un Conseil des Ministres ? C’est parfait. Elle en sera peut-être un pour de bon lorsque nous serons passés à l’action. »
Pour appuyer ses paroles, elle dézippa également le costume de fourrure rose, qui aurait glissé à ses pieds de façon très érotique si elle n’avait pas porté un tailleur gris en-dessous. Elle donna un grand coup de pied dedans pour s’en débarrasser, tira sa chaise et prit place.

***

Jaden se rendit compte un peu tard qu’il avait surestimé sa compréhension du français de la rue. S’il avait plus ou moins compris ce que lui disait son interlocuteur, c’était grâce à son air interrogateur, bien plus que grâce à son vocabulaire un peu trop fleuri pour un étranger.
« Eh bien… On raconte qu’il y a un tueur en série dans votre ville.
— Wololo, d’où est-ce que tu sors ça, mon gars ? On n’est pas en Amérique, ici, on n’a pas de FBI, nous. Et est-ce que tu sais pourquoi on n’a pas de FBI ?
— Euh, non…
— Parce qu’on n’a pas assez de tueurs en série ! »
Plusieurs personnes éclatèrent de rire le long du comptoir. L’affaire s’annonçait compliquée.
« Remarque, fit un autre ivrogne, quand on en a, ils ont la classe. Landru, Petiot, ça, c’était du tueur en série comme on n’en fait plus de nos jours ! Le crime à la française, monsieur ! »
Le barman, qui récupérait les verres vides, leva un sourcil.
« Parce qu’Émile Louis ou Guy Georges, c’était du crime propre et distingué ? Et aussi Michel Fourniret, pendant que vous y êtes ? »
Son client ne se démonta pas :
« Mon petit Mathieu, sois gentil, laisse parler les grandes personnes. Et remets-moi la petite sœur. »
Le barman haussa les épaules et ne tenta plus de se mêler de la conversation.
« Pourtant, tenta Jaden, quelqu’un m’a dit…
— Que tu m’aimais encore ! coupa un troisième poivrot, dont le voisin se mit à pouffer derrière son verre.
— Non, que des gens étaient étranglés dans la rue et que le tueur tirait des fusées pour que la police les retrouve. »
Il y eut un silence.
« Tu veux un conseil ? demanda le premier ivrogne.
— Oui, si vous voulez.
— Arrête le vin tout de suite, mon petit père. Ça ne te réussit pas. »

***

« Chef, est-ce qu’on peut lui tirer dessus ?
— C’est trop risqué. Nous risquerions de toucher la petite, or le chef veut que nous la lui amenions vivante. Souvenez-vous du savon qu’on a pris la fois où on a buté une cible sans le faire exprès. Je n’ai pas envie de finir dans un bassin à alligators comme Winston. »
Ceux qui avaient connu Winston, l’ancien chef d’équipe qui avait effectivement cher payé la bavure, baissèrent la tête et lui rendirent hommage sous la forme de deux secondes de silence.
« Maintenant, on y va ! reprit Reynald. Enfoncez-moi cette porte ! »

Les sbires se relayèrent, frappant chacun à son tour. Au bout du quatrième impact, la porte céda et l’infortuné équipier avança de quelques pas dans la pièce avant de perdre l’équilibre.
Le chef repéra immédiatement Jasmine Harrison, recroquevillée sur un tatami dans un coin de la pièce. Le grand blond, quant à lui, se tenait face à la brigade, le visage dur, le regard vaguement absent, comme s’il se concentrait sur quelque chose. Il y eut une demi-seconde suspendue, où chacun se demandait quel serait le prochain mouvement.
Puis Reynald avança. Il avait lui aussi des notions d’arts martiaux, et aussi un couteau dissimulé dans une poche de poitrine. Ce n’était pas un gars isolé qui lui ferait peur.
Alors qu’il passait la porte, un pied le cueillit au niveau de l’estomac. Il se plia en deux sous le coup de la douleur, et n’eut pas la présence d’esprit d’échapper à l’enchaînement de coups qui suivit. Il roula à terre. Au moment où son petit déjeuner remontait inexorablement, il se rendit compte qu’il venait d’être mis au tapis par une jeune femme noire, elle aussi en tenue de kung-fu, et que d’autres pratiquants étaient en embuscade derrière la porte. Tous de grands adolescents ou de jeunes adultes.
Il voulut crier : « Entrez dans ce dojo et plantez-moi ces guignols ! »
Mais la moitié des mots se noyèrent dans le flot de son café du matin, où surnageaient encore des bouts de cake à la banane.

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