Default to white

Je suppose que si vous suivez plus ou moins l'actualité du monde de l'imaginaire, vous êtes au courant : le casting de la pièce de théâtre Harry Potter and the Cursed Child est annoncé et il fait grand bruit.
On rappellera que ladite pièce est centrée sur Albus Severus Potter, mais que des versions plus âgées (une petite quarantaine) de Harry, Ron et Hermione interviennent. Et là, c'est le drame.
Ron n'est pas roux.
Bon, ça, ça devrait se régler avec une petite teinture, les coiffeurs font ça très bien.
Mais surtout, Hermione est noire.

La tempête, chez des fans habitués à voir l'héroïne sous les traits délicats et la peau pâle d'Emma Watson, a été telle que J.K. Rowling elle-même est montée au créneau pour signaler qu'elle approuvait le choix de l'actrice Noma Dumezweni.

Sont "canon" : yeux marron, cheveux pleins de frisottis, très intelligente. Peau blanche jamais précisée. Rowling adore l'Hermione noire.
 
Apparemment, c'est un peu plus complexe : des lecteurs ont exhumé des passages suggérant que le personnage avait la peau claire ; mais mince, est-ce qu'on peut faire confiance à l'auteur pour savoir ce qui convient ou pas, en matière d'adaptation ?
Matthew Lewis, l'interprète de Neville dans les films, est lui aussi intervenu pour signaler que dans les livres, son personnage était blond.
Et malgré tout, ça continue à coincer sur les réseaux sociaux.

Tout ça, j'en suis sûre, c'est la faute au "default to white" : le fait que, dans l'inconscient collectif du monde occidental, si on ne précise pas l'origine ethnique d'un personnage, tout le monde ou presque va partir du principe qu'il est blanc.

Je plaide coupable : je fais "default to white" comme tout le monde. Cependant, j'ai assez de recul pour me dire que voilà, si une actrice noire joue Hermione sur les planches pendant quelques mois, le monde ne va pas s'écrouler. Au contraire, ça va envoyer un message tout à fait sympathique :
"Dames et jeunes filles qui avez la peau foncée, rien ne vous empêche d'être cette héroïne intelligente, cool et forte qui fait rêver le monde entier."

Parce que bon, le monde de l'héroïsme est encore vachement blanc, à l'heure qu'il est, presque en 2016. À l'heure où Barack Obama achève son deuxième mandat de président du pays le plus influent du monde, l'air de rien.
Quand on lit cette note d'Aliette de Bodard (en anglais), on se rend compte à quel point les jeunes lecteurs non-blancs peinent à trouver des héros qui leur ressemblent, alors même que statistiquement, nous autres blafards ne sommes qu'une minorité, à l'échelle de la planète.
Je ne me suis rendu compte du problème qu'à l'âge adulte, sur les réseaux sociaux.
En fait, j'ai eu bien de la chance d'avoir trouvé des figures à qui m'identifier sans trop de soucis, parce que j'étais blanche. Pendant ce temps, une métisse comme Aliette de Bodard avait toujours le cul entre deux chaises, et ne trouvait quasi que des blondes à gros seins dans ses lectures. Débrouille-toi pour t'identifier, fillette.

Pourtant, avant même d'avoir pris conscience de ce manque, et de notre responsabilité, en tant qu'auteurs, dans l'évolution des représentations... j'avais des personnages de couleur dans mes textes.
Sur ce coup-là, je crois qu'être (un peu) réunionnaise m'a beaucoup aidée, parce que ça a imprimé dans mon cerveau l'image d'un monde multicolore, que je reproduis sans effort et sans avoir l'impression de révolutionner quoi que ce soit.
Zut, quoi. Ça ne devrait pas être hors norme d'avoir des personnages non blancs.

Ainsi, pour prendre un texte antérieur à mon entrée dans les réseaux sociaux, le monde futur des Gigahertz est massivement métissé. Avec son type indo-mauricien très foncé, Shania Artemisia est la plus noire du casting principal, mais ça ne veut pas dire que les autres sont tous blancs : Lya Carlottini, avec son teint pâle et ses yeux bleus, est la seule "pure" européenne du roman. Tous les autres tirent quelque part entre le mat et le basané. Même Marianne Sablay a la peau claire, mais pas laiteuse (et, secret, elle n'est pas naturellement blonde).
En gros, "default to light brown", à peu près.
Pourquoi ne l'ai-je pas mentionné ? Parce que je travaille en focalisation interne et que cette situation est normale aux yeux de l'équipage.
Générateur d'avatars pour la future suite : Shania Artemisia, Milo Tikosh qui est un poil plus foncé que ça "en vrai", imaginez un Italien du Sud bien mat... et Marko Pesnik, un nouveau personnage dont la blancheur hors norme rend évidente son ascendance doroane (il vient d'une colonie dont 80% de la population est d'origine finlandaise – même si son nom est slovène)

Bref.
Malgré ça, quand j'ai cherché un casting imaginaire pour un éventuel film Gigahertz, je me suis retrouvée à plus ou ou moins whitewasher tout le monde... et j'ai eu beau y passer des heures, je n'ai trouvé aucune actrice correspondant à Shania Artemisia. Si le profil général va, la couleur ne va pas, et ainsi de suite.
 
Au pire, si on a su transformer Robert Downey Jr en blond aux yeux bleus maquillé en sergent noir dans Tonnerre sous les Tropiques (une double transformation absolument savoureuse, au passage), on peut envisager de bronzer des acteurs blancs. C'est techniquement possible, mais ça reste du blackface. Tout ça parce que je n'ai pas trouvé assez de gens mats/basanés correspondant à mes personnages sur l'IMDb.

Dans des contextes plus contemporains, je précise qu'Unetelle ou Untel est blanc(he)... si le personnage focus est racisé. Parce que quand on est blanc, on n'y fait pas attention naturellement, j'en sais quelque chose.
Typiquement, Axel vu par un blanc => "un jeune homme de taille et de carrure moyennes, aux cheveux châtains".
Axel vu par un noir un peu plus loin dans le roman => "un homme blanc de taille moyenne".
 
Ceci étant, je ne compte pas changer ma façon de procéder, parce que je ne suis pas là pour transformer mes histoires en pamphlets : les personnages continueront à prendre la couleur avec laquelle ils me viennent en tête. Ils pourront être blancs, ou alors colorés, suivant ce qui va dans le contexte et dans l'humeur du moment.
 
C'est ainsi que Lisha n'est pas vraiment blanche, pour ne citer qu'un exemple récent (tous les créoles réunionnais, même les plus clairs de peau, sont métissés).
 
Surtout ne pas créer "un personnage caution pour que l'équipe ait l'air diverse". Juste un personnage, ou deux, ou trois, avec leur histoire, leur personnalité, leurs forces et leurs faiblesses.
Des héros.
En couleurs.

Commentaires

  1. Le default to white n'est pas vraiment étonnant. La plupart des romans / films / autres qu'on consomme restent écrits par des occidentaux, et principalement "blancs".
    Ces derniers, dans les romans que je lis, soient placent leurs histoires en Europe ou aux USA.. Ou dans des mondes inspirés de ces derniers (les romans de fantasy que je lis sont à 90% directement inspirés de l'histoire européenne). De fait, par défaut, les personnage moyens font partie de la population majoritaire, à savoir blancs (ceci changera pour les usa dans les années à venir, mais pour l'instant).

    Après je n'arrive pas à comprendre ce besoin de s'identifier à quelqu'un "de notre origine". Probablement parce que lorsque j'étais jeune mes idoles étaient un extra terrestre en tenue asiatique ou 5 jeunes garçons à la masculinité douteuse (l'expression n'est pas de moi) dont un seul n'est pas 100% japonais (ok ça j'admets ce n'est guère visible à l'écran, mais les cheveux verts ou bleus j'ai du mal à m'identifier à ça ^^).
    Après je sais, bien qu'asiatiques ces héros ont une peau blanche, je peux admettre que quelqu'un de noir se sente bien plus éloignés de ces héros. Ceci dit je n'arrive quand même pas à comprendre en quoi c'est important.

    en revanche actuellement, et je crois que ça participe à la polémique sur Hermione, c'est que beaucoup de producteurs de films et séries (et peut-être de théâtre ?) semblent vouloir lors des adaptations mettre un personnage "de couleur" juste pour dire "ouais on en a un".
    Un exemple récent est le dernier Fantastic Four où je ne peux pas m'empêcher de dire qu'ils trouvaient le casting trop blanc. Les adaptations de super héros regorgent de ce procédé. Ainsi dans les films Thor, j'ai l'impression que tous les Asgardiens sont blancs, sauf deux histoire d'avoir une caution "personnage de couleur". Ok Idris elba est vraiment bien dans ce rôle et j'aime bien le perso (je ne le connais pas en comics je ne peux pas comparer), mais ce qui m'ennuie... c'est que c'est le seul noir. C'est vraiment le seul noir de tout Asgard ou alors ils sont si discrets que je n'ai pas remarqué ? Bref, on dirait une caution.
    Il y a d'autres cas, en tout cas parmi les adaptations de comics.

    Qu'on ne me dise pas "oui mais il y a plus de cas où c'est whitewashé" ou "ce sont surtout des rôles secondaires", si je parlais de ces cas c'était pour expliquer qu'il y a des persos "caution diversité" (sans juger sur le fait que ce soit bien ou pas) et que ça n'aide pas à un débat apaisé.

    J'ai quand même l'impression qu'il y a 3 types de personnes :
    Ceux qui trouvent très bien qu'un perso blanc soit joué par un non blanc (je ne parle pas à Hermione là, mais aux cas où des persos explicitement blancs sont joués par des non blancs) mais qui râlent à font dès qu'un blanc joue un rôle d'un non blanc.

    Ceux qui trouvent très bien qu'un perso non blanc soit joué par un blanc mais qui râlent à font dès qu'un non blanc joue un rôle d'un blanc.
    Si vous voyez une symétrie, c'est normal.

    Enfin.... ceux qui ne s'y intéressent pas vraiment en temps normal (dont votre serviteur).

    La conclusion de l'article que je mets avec mon pseudo (je ne l'ai pas écrit) est exactement ce que je pense :
    "Dans un métier où il est essentiel de se faire passer pour ce que l’on n’est pas, et avec naturel, peut-être vaudrait-il mieux ne juger les uns et les autres qu’à l’aune de leur talent. Et après avoir vu la pièce ou le film."


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    1. "Dans un métier où il est essentiel de se faire passer pour ce que l’on n’est pas, et avec naturel, peut-être vaudrait-il mieux ne juger les uns et les autres qu’à l’aune de leur talent. Et après avoir vu la pièce ou le film."

      Amen.

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