Quinze ans. Pas un de moins.
Deux décennies en arrière, les éditions Pocket nous promettaient, de la part de Jeanne Faivre d'Arcier, une "trilogie en rouge". Rouge Flamenco, en 1995, puis La déesse écarlate en 1997. Et puis quinze ans d'absence, l'auteur ayant écrit totalement autre chose dans l'intervalle.
Bien que je sois très largement revenue des vampires, l'annonce de la sortie chez Bragelonne d'un troisième tome qui commençait à tenir de l'Arlésienne a titillé l'adolescente au fond de moi.
Voici donc Le Dernier Vampire, paru en 2012, le dernier volet enfin réel de la trilogie en rouge.
Passons sur la couverture "à la mode" à base de photos retouchées, clairement pas ma tasse de thé et sans doute conçue comme un appel du pied pour les amateurs (et surtout -trices) de bit-lit qui constituent de nos jours une bonne part du lectorat.
Au risque de faire publicité mensongère.
Parce que connaissant Jeanne Faivre d'Arcier, ce bouquin, ça ne risquait pas d'être de la bit-lit, d'autant que son auteur l'a présenté comme un mélange de polar et de fantastique.
OK, lançons-nous.
À ma gauche, Christine Deroche, capitaine à la Brigade Criminelle, petite butch nerveuse au passé torturé (frère disparu, mère haineuse, père vite envolé bien loin – il est même fortement suggéré qu'elle est devenue lesbienne à cause de la lâcheté paternelle) et au présent pas reluisant (picole dans son bar lesbien pour oublier la haine que lui voue son supérieur), bref, un bel exemple de background chargé.
À ma droite, Donnadieu (ceci est un pseudonyme), juriste transformé en vampire contre son gré sous la Révolution, pas très net comme beaucoup de ses congénères après quelques siècles de nuit, préoccupé par la brutale déchéance des siens, dans laquelle il n'a aucune envie d'être entraîné, et qui se met à s'intéresser à Christine parce qu'elle lui rappelle bigrement son ex-fiancée, à se demander si ce n'est pas elle sous couverture...
La première partie manie à outrance l'ironie dramatique : Christine et ses collègues enquêtent sur des meurtres sans se douter qu'ils sont dans un roman de vampires (l'héroïne est la dernière à admettre que le criminel n'est pas humain, et encore, quand elle en a la preuve sous les yeux). Quant à Donnadieu, il se berce d'illusions sur la nature de sa proie, puisque le lecteur, qui suit son quotidien, sait qu'elle est bel et bien humaine.
Ce qui pourrait donner un certain dynamisme sur un chapitre ou deux finit par lasser, s'agissant de la moitié du roman. L'effet est bancal, voire énervant. Dommage quand, par ailleurs, le rythme de l'enquête policière est très bien rendu, de même que le contraste entre l'ambiance du Paris d'aujourd'hui et celle de la même ville en 1793.
La seconde moitié bascule plus franchement dans le roman vampirique : Donnadieu se rend compte de sa méprise, tombe amoureux et met les voiles en couple avec, sous le bras, le remède au problème des vampires, qu'il n'a pas l'intention de partager (il sera ainsi Le Dernier Vampire, ding !). Christine, bien décidée à lui mettre le grappin dessus, s'engage dans une course-poursuite avec lui, dans Paris puis sur la route des vins.
La narration est ici plus équilibrée et agréable. Ce qui ne veut pas dire que je l'aie trouvée parfaite.
Partons le nez dans le guidon avec l'écriture elle-même. Jeanne Faivre d'Arcier est égale à elle-même, avec une narration au présent, nerveuse et pleine d'ironie. Pourtant, je me suis retrouvée à l'occasion toute grimaçante devant des phrases qu'aucun directeur littéraire ne m'aurait laissé passer [*].
Je ne milite pas pour le nivellement par le bas et la limitation systématique aux phrases de moins de quinze mots. Je suis la première à considérer que deux subordonnées, c'est le minimum syndical pour une belle phrase (et à me forcer, par conséquent, à insérer de petites phrases plus courtes entre les longues, pour respirer).
Mais ces lourdeurs-là, si elles passent encore dans les parties au passé simple racontant l'histoire de Donnadieu, coincent carrément quand elles surgissent dans le corps principal du texte.
Le directeur de la Criminelle lui a offert un moka à la turque, épais, huileux, sucré comme du loukoum, qu'il a tambouillé lui-même dans un coin de son bureau. Mais c'est moins ce breuvage parfumé à la rose qui lui retourne les tripes que la décision en forme de syllogisme prise par les autruches du ministère et dont le grand chef se charge d'assurer l'après-vente : comme les vampires n'existent pas, l'enquête sur le meurtrier des laboratoires est close.
Vous avez dit loukoum ?
En relevant un peu le nez, certains personnages m'ont déplu.
Ça m'a fait du bien de voir Donnadieu au début, un vrai vampire à l'ancienne, pas spécialement attirant et surtout bien barré dans sa tête. Hélas, à mesure qu'il consomme son remède, il rajeunit et regagne sa santé mentale, pour finir avec l'apparence d'un gamin de vingt ans beau comme un dieu. Sur la fin, on s'attend presque à ce qu'il se mette à scintiller au soleil.
Et puis il y a Suzanne... Ah, Suzanne ! Un concentré de deusexmachinisme de fort belle facture.
Extrait du Règne de la Terreur par Gozzo et Chizzoli, Incube n°72, éditions Elvifrance
À eux seuls, ses pouvoirs de médium débloquent toute l'intrigue et permettent de faire glisser la fin vers un semblant de happy end. Le plus fort, c'est qu'elle ignorait qu'elle les avait...
Mais pourquoi les a-t-elle, tiens ?
Parce qu'elle est d'origine réunionnaise et malgache, bien sûr ! Tout le monde sait que les vieilles créoles étaient toutes des guérisseuses un peu sorcières et qu'elles ont transmis leurs pouvoirs à leurs descendantes... Clic-clac, Kodak !
Retenez-moi avant que je ne morde quelqu'un.
On terminera avec le retour de Carmilla et de Mâra, les héroïnes des deux premiers tomes, dans de petits rôles. C'était bien la peine de les faire revenir pour les rendre aussi pitoyables et ridicules.
D'autant qu'on tient là une incohérence absolument magnifique : dans Rouge Flamenco, un des grands pivots de l'intrigue était déjà la déchéance de vampires contaminés par des maladies humaines (il n'était pas encore dit que le sang des humains modernes était tout pourri à cause des pesticides). Carmilla était impliquée dans la recherche médicale et se fournissait en sang amélioré. Pourquoi diable se prendrait-elle de plein fouet la dégradation de la qualité du sang, et surtout, pourquoi aurait-elle besoin de passer par l'intermédiaire de Donnadieu pour trouver un remède (que ce petit salopiot va garder pour lui seul) ?
Là, non, désolée, je ne marche pas. Elle ne peut pas avoir perdu tous ses contacts en l'espace de quinze ans, pas sachant que sa vie en dépend.
Enfin bref.
On a là un roman enlevé, documenté, rythmé, globalement bien écrit, mais qui me laisse mi-figue mi-raisin. Bon moment de lecture, et pourtant grosse déception pour un livre aussi attendu (et je vous jure que je ne demandais pas la lune).
Le Dernier Vampire
Un roman de Jeanne Faivre d'Arcier
Éditions Bragelonne
20 euros
[*] Une explication qui en vaut d'autres : je ne m'appelle pas Jeanne Faivre d'Arcier.
En parlant de "trilogie en rouge" et de Loukoum, "La vérité si je mens 3" est bien sortie en février. Coïncidence, je ne pense pas.
RépondreSupprimerCela me donne quand même l'impression que ce dernier tome fait tache et n'est pas vraiment cohérent avec les précédents tomes.
À ce propos, on peut déplorer que Carmilla ne commande toujours pas à la semoule. ^^
RépondreSupprimerJe m'en vais me l'acheter de ce pas. Juste parce que ça fait un paquet d'années que je l'attends...
RépondreSupprimerC'est exactement ce qui m'a motivée... et sans doute aussi la raison de ma déception.
Supprimerl'avantage, c'est que du coup je serais prévenue, et donc a priori je ne m'attends pas à un chef d'oeuvre ^^
Supprimer