Un roman, ce n'est pas juste un texte, un fichier vierge que l'on crée et dans lequel on pose des mots. C'est aussi et avant tout ce que l'on appelle le métatexte, à savoir, tout ce qui n'est pas les mots : l'ossature de l'intrigue, les secrets des personnages, le monde dans lequel s'inscrit l'histoire et qui, forcément, est plus vaste que le roman lui-même. Voilà pourquoi un roman ne commence pas à exister au moment où l'auteur se met à écrire dans le fichier, mais en amont.
La quantité de préparation, et le temps que l'on y consacre, varient beaucoup d'une personne à l'autre (et dans une moindre mesure, d'un projet à l'autre pour la même personne).
On dit souvent que les auteurs se divisent en deux catégories : les structuraux et les scripturaux. Les premiers ont besoin de poser une assise solide, pouvant aller jusqu'au synopsis scène par scène, pour poser leur écriture dessus. Les seconds, au contraire, se laissent porter par leur inspiration et écrivent sans savoir où les porte le texte.
En fait, c'est très schématique. Personne n'est totalement structural ou scriptural. Il y a une continuité d'un extrême à l'autre, avec entre les deux autant de profils qu'il y a d'auteurs. En outre, suivant la dynamique d'écriture, les points à bien poser ne seront pas toujours les mêmes.
Et moi dans tout ça ?
Je suis un peu des deux, en fonction des domaines.
Ma dynamique d'écriture repose sur les personnages (tout archétypaux qu'ils soient aux yeux de certains) : je pars d'eux, je les sens, je les respire, j'éprouve de l'empathie pour eux. On peut dire que j'écris pour eux parce que je les aime. Oui, même quand je les tue. De toute façon, par le pouvoir du wibbly-wobbly-timey-wimey, un personnage qui meurt dans un roman n'est jamais vraiment mort pour moi, puisque j'ai dans la tête, bien vivaces, tous les moments qu'il a vécus avant.
Cette relation très émotionnelle me rend fortement scripturale sur mes héros. Je ne peux pas remplir une fiche de personnage détaillée avant de me mettre à écrire, c'est au-delà de mes forces. J'ai besoin de les sentir en action, vivants sous mon clavier, de leur trouver leur voix.
Pour l'intrigue, je fonctionne sur le principe de l'autotour. Je sais où je récupère ma voiture (début de l'histoire), où et quand je dois la rendre (fin de l'histoire), et où je dors entre les deux (points-clefs). Ceci étant posé, c'est parcours libre : j'ai des idées, je les note, mais si je me rends compte à l'usage que ça ne fonctionne pas, je prends un autre chemin, le tout étant de retomber sur mes pieds à l'arrivée. Partant de là, pas besoin de trop détailler l'intrigue puisque, sortie de mes points-clefs, je suis susceptible de ne pas suivre mon plan.
Tout ceci ne marche qu'à une condition : savoir où je mets les pieds (contrairement à Braddock, je ne peux pas juste dire que c'est souvent dans la gueule). La conséquence, c'est qu'avant de me lancer, je m'efforce d'être sûre de mon contexte. Une bonne part de mon temps de préparation sera donc consacrée à la documentation, et à la construction d'un background solide, afin d'être capable de répondre sans réfléchir quinze jours si mon éditeur me demande : "Et le roi Bidule, pourquoi est-ce qu'il a attaqué le Marais Jaune ?"
Tout ceci prend quelques heures, de temps en temps, généralement étalées sur quelques mois.
Quand je prépare un roman, il y a une première phase où je ne suis pas à fond dedans. J'ai les premières idées, fraîchement sorties de la brume, encore mal situées et pas du tout agencées. Je les laisse mûrir dans ma tête. J'ouvre ensuite un fichier de préparation dans lequel je jette tout, en vrac, sans effacer si je change d'avis (ce qui fait dudit fichier un beau foutoir qui se contredit d'une page à l'autre, et où je suis la seule à savoir quelle est la bonne version).
En seconde phase, quand j'ai une vision moins floue de ce que sera l'histoire, j'attaque la préparation intensive. Je choisis le contexte, je me renseigne sur tout ce qui est documentable, j'essaie de monter le reste de la façon la plus solide possible, je traîne un max sur le Net, j'achète éventuellement des livres. L'intrigue prend une meilleure forme. Je déroule la méthode du flocon sur deux ou trois étapes (pas plus), je résume l'histoire à gros traits, je m'imprègne de l'ambiance.
Concrètement, la préparation et le métatexte, à quoi ça ressemble ?
— À des fichiers de préparation. Si on prend l'exemple de L'Ouroboros d'argent, ça représente deux fichiers, de 4 et 16 pages respectivement.
Là-dedans, on trouvera en vrac des fiches de personnages très succinctes, des phrases que je tenais à inclure dans le roman, des notes sur les temps de parcours (les personnages ayant la bonne idée de traverser la France en voiture), une chronologie, et une version de l'histoire qui n'est pas tout à fait celle que vous pouvez lire dans le livre.
— À des documents enregistrés en guise de référence : photos, articles, voire des trucs un peu plus conséquents. Pour préparer La dernière fée de Bourbon, j'ai ainsi sauvegardé le dossier de candidature au statut de "ville d'art et d'histoire" présenté par la municipalité de Saint-Paul (de la Réunion). 200 pages, pas toutes pertinentes par rapport à mon projet, mais comprenant quelques infos précieuses que je ne trouvais pas ailleurs.
— À des livres que j'ai achetés pour compléter ma documentation.
Ici, trois des quatre ouvrages achetés pour La dernière fée de Bourbon.
— À des croquis représentant mes personnages, ou des lieux, ou des scènes.
Si vous avez lu L'Ouroboros d'argent, je pense que vous situerez très bien cette esquisse de Célia.
Cependant, il y a aussi toute une partie que l'on ne risque pas de voir : c'est ce que j'ai assimilé, mais pas noté. Tout est dans ma tête, donc invisible. Liste non exhaustive : anecdotes, impressions, images fugaces, connaissances supplémentaires.
Et après...
Arrive le jour où, non, je ne suis pas prête, mais quand faut y aller...
J'ouvre alors le fichier et je commence à écrire. Je sais que le résultat ne sera pas 100% fidèle à mes plans, et c'est justement ça qui me donne envie d'avancer : qu'est-ce qui va se dérouler et fleurir sur mes pas ?
La quantité de préparation, et le temps que l'on y consacre, varient beaucoup d'une personne à l'autre (et dans une moindre mesure, d'un projet à l'autre pour la même personne).
On dit souvent que les auteurs se divisent en deux catégories : les structuraux et les scripturaux. Les premiers ont besoin de poser une assise solide, pouvant aller jusqu'au synopsis scène par scène, pour poser leur écriture dessus. Les seconds, au contraire, se laissent porter par leur inspiration et écrivent sans savoir où les porte le texte.
En fait, c'est très schématique. Personne n'est totalement structural ou scriptural. Il y a une continuité d'un extrême à l'autre, avec entre les deux autant de profils qu'il y a d'auteurs. En outre, suivant la dynamique d'écriture, les points à bien poser ne seront pas toujours les mêmes.
Et moi dans tout ça ?
Je suis un peu des deux, en fonction des domaines.
Ma dynamique d'écriture repose sur les personnages (tout archétypaux qu'ils soient aux yeux de certains) : je pars d'eux, je les sens, je les respire, j'éprouve de l'empathie pour eux. On peut dire que j'écris pour eux parce que je les aime. Oui, même quand je les tue. De toute façon, par le pouvoir du wibbly-wobbly-timey-wimey, un personnage qui meurt dans un roman n'est jamais vraiment mort pour moi, puisque j'ai dans la tête, bien vivaces, tous les moments qu'il a vécus avant.
Cette relation très émotionnelle me rend fortement scripturale sur mes héros. Je ne peux pas remplir une fiche de personnage détaillée avant de me mettre à écrire, c'est au-delà de mes forces. J'ai besoin de les sentir en action, vivants sous mon clavier, de leur trouver leur voix.
Pour l'intrigue, je fonctionne sur le principe de l'autotour. Je sais où je récupère ma voiture (début de l'histoire), où et quand je dois la rendre (fin de l'histoire), et où je dors entre les deux (points-clefs). Ceci étant posé, c'est parcours libre : j'ai des idées, je les note, mais si je me rends compte à l'usage que ça ne fonctionne pas, je prends un autre chemin, le tout étant de retomber sur mes pieds à l'arrivée. Partant de là, pas besoin de trop détailler l'intrigue puisque, sortie de mes points-clefs, je suis susceptible de ne pas suivre mon plan.
Tout ceci ne marche qu'à une condition : savoir où je mets les pieds (contrairement à Braddock, je ne peux pas juste dire que c'est souvent dans la gueule). La conséquence, c'est qu'avant de me lancer, je m'efforce d'être sûre de mon contexte. Une bonne part de mon temps de préparation sera donc consacrée à la documentation, et à la construction d'un background solide, afin d'être capable de répondre sans réfléchir quinze jours si mon éditeur me demande : "Et le roi Bidule, pourquoi est-ce qu'il a attaqué le Marais Jaune ?"
Tout ceci prend quelques heures, de temps en temps, généralement étalées sur quelques mois.
Quand je prépare un roman, il y a une première phase où je ne suis pas à fond dedans. J'ai les premières idées, fraîchement sorties de la brume, encore mal situées et pas du tout agencées. Je les laisse mûrir dans ma tête. J'ouvre ensuite un fichier de préparation dans lequel je jette tout, en vrac, sans effacer si je change d'avis (ce qui fait dudit fichier un beau foutoir qui se contredit d'une page à l'autre, et où je suis la seule à savoir quelle est la bonne version).
En seconde phase, quand j'ai une vision moins floue de ce que sera l'histoire, j'attaque la préparation intensive. Je choisis le contexte, je me renseigne sur tout ce qui est documentable, j'essaie de monter le reste de la façon la plus solide possible, je traîne un max sur le Net, j'achète éventuellement des livres. L'intrigue prend une meilleure forme. Je déroule la méthode du flocon sur deux ou trois étapes (pas plus), je résume l'histoire à gros traits, je m'imprègne de l'ambiance.
Concrètement, la préparation et le métatexte, à quoi ça ressemble ?
— À des fichiers de préparation. Si on prend l'exemple de L'Ouroboros d'argent, ça représente deux fichiers, de 4 et 16 pages respectivement.
Là-dedans, on trouvera en vrac des fiches de personnages très succinctes, des phrases que je tenais à inclure dans le roman, des notes sur les temps de parcours (les personnages ayant la bonne idée de traverser la France en voiture), une chronologie, et une version de l'histoire qui n'est pas tout à fait celle que vous pouvez lire dans le livre.
— À des documents enregistrés en guise de référence : photos, articles, voire des trucs un peu plus conséquents. Pour préparer La dernière fée de Bourbon, j'ai ainsi sauvegardé le dossier de candidature au statut de "ville d'art et d'histoire" présenté par la municipalité de Saint-Paul (de la Réunion). 200 pages, pas toutes pertinentes par rapport à mon projet, mais comprenant quelques infos précieuses que je ne trouvais pas ailleurs.
— À des livres que j'ai achetés pour compléter ma documentation.
Ici, trois des quatre ouvrages achetés pour La dernière fée de Bourbon.
— À des croquis représentant mes personnages, ou des lieux, ou des scènes.
Si vous avez lu L'Ouroboros d'argent, je pense que vous situerez très bien cette esquisse de Célia.
Cependant, il y a aussi toute une partie que l'on ne risque pas de voir : c'est ce que j'ai assimilé, mais pas noté. Tout est dans ma tête, donc invisible. Liste non exhaustive : anecdotes, impressions, images fugaces, connaissances supplémentaires.
Et après...
Arrive le jour où, non, je ne suis pas prête, mais quand faut y aller...
J'ouvre alors le fichier et je commence à écrire. Je sais que le résultat ne sera pas 100% fidèle à mes plans, et c'est justement ça qui me donne envie d'avancer : qu'est-ce qui va se dérouler et fleurir sur mes pas ?
Superbe article, dont j'ai apprécié les illustrations concrètes. Je te rejoins à 100% sur le fait que personne n'est structural ou scriptural à 100%, c'est bien plus subtile.
RépondreSupprimerEn tout cas, c'est vraiment sympa de découvrir la façon dont tu cogites et prépares tes romans.
Pour moi, le plus incroyable, c'est que même en préparant bien, j'ai parfois des modifications majeures qui apparaissent pendant ou après l'écriture. On va dire que j'ai un roman sur deux (à ce jour... j'établis des stats sur pas grand chose ^^) qui prend des proportions inquiétantes et nécessite de gros remaniements. Même avec une scénarisation scène à scène en amont.
J'ai à peu près la même technique (sauf que j'ai beau préparer en amont, je finis toujours par buter sur des détails débiles du genre "au fait, que mangeait-on à la Nouvelle Orléans en 1752, au juste?") ça fait plaisir de voir que je ne suis pas la seule à avoir des fiches du genre "bordel organisé"...
RépondreSupprimerOh, mais c'est la même chanson ici, va.
SupprimerPar exemple, La Dernière Fée, jour 2 d'écriture. Une heure et quelque de pause pour choisir la fleur dans le chignon de la mariée (en fonction de la saison et de la période historique). Le genre de truc que j'aurais pu vérifier 200 fois avant...
Admirative, je suis !
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