Celle qui voulait voir la fin

J'en ai déjà parlé sur ce blog, voici quelques années : je ne me reconnais pas du tout dans ces lectrices et ces lecteurs (voire ces lecteurices, coucou aux camarades non binaires qui passeront) qui ralentissent leur lecture sur les derniers chapitres parce qu'ils ne veulent pas avoir terminé. Moi, c'est tout le contraire. Je veux savoir comment se finit le livre, avoir tous les éléments en main, refaire le film dans ma tête, sauter sur les analyses des autres sans craindre de me faire spoiler.

Bref, deux profils, deux approches.
Ce qui ne pose aucun problème, en théorie.
Le seul léger petit souci, c'est que je fonctionne exactement pareil quand j'écris. Je vole vers la fin !


La ligne d'arrivée par unsplash-logoKolleen Gladden

Sur les nouvelles, ça passe encore : le texte est écrit d'un seul souffle. Sur un sprint, on donne tout du début à la fin.
En revanche, dès que le texte commence à ressembler à un roman, c'est une autre affaire.

Remettons-nous dans le contexte.
Qu'elle soit bouclée en deux semaines ou en quinze ans, la phase de rédaction d'un roman passe plus ou moins toujours par les mêmes stades, quel que soit l'auteur, quel que soit le texte :
  • L'ivresse du début, on se lance, on a plein d'idées, on veut donner corps à ce projet qui nous habite.
  • L'élan initial qui se perd peu à peu.
  • Le stade du doute (entre la moitié et les trois quarts suivant les cas, souvent aux deux tiers en ce qui me concerne). On digère mal la différence entre le roman rêvé et ce que l'on a effectivement rédigé, on pense que c'est nul, que ça n'intéressera jamais personne, on se maudit d'avoir commencé cette chose infâme, on a très envie de tout arrêter.
  • Le second souffle où l'on surmonte le doute et où l'on atteint le point final.
Dans mon cas, le second souffle est souvent laborieux à trouver. Ensuite, sur les ultimes chapitres, ça s'emballe : la fin du calvaire approche ! Ça sent l'écurie ! Donc non seulement j'écris assez vite mes dénouements, mais en plus, je taille au plus court. À ce stade, je connais mon image de fin (dont j'avais une idée dès le départ, mais dont les détails ont souvent changé en cours de rédaction) et je tends vers elle en fermant abruptement les intrigues. Pof, pof, pof, et c'est magique, j'ai... fini !

En d'autres termes, vous ne voulez pas lire la fin de mes premiers jets. Vraiment pas. Autant les débuts sont réécrits, c'est normal et classique, autant chez moi, les fins sont méchamment étoffées au cours des phases de correction/réécriture. Parce qu'en première intention, c'est monté comme un film de ninjas hong-kongais.


Pourquoi est-ce que j'y pense aujourd'hui, me demanderez-vous ?
C'est très simple : je viens de repasser par là. En fermant mon fichier, j'étais contente d'avoir bouclé l'intrigue d'une façon qui me paraissait satisfaisante. Deux jours plus tard, je savais qu'il faudrait ajouter au moins un bon millier de signes pour préciser tout ce que j'avais passé sous le tapis, dans ma hâte de balayer au plus vite.
Ce n'est pas encore fait. Les phases d'édition viendront plus tard. Mais ça viendra.

Question pertinente : puisque je suis consciente de ce travers, ne pourrais-je pas m'obliger à ralentir et à bien considérer tous les aspects de l'intrigue que je clos, afin de m'assurer que je ne laisse rien de côté ?
Je pourrais sans doute. Cependant, je préfère ne rien changer à ma façon de procéder.
Pourquoi ?
Parce qu'il vaut mieux avoir un texte complet, avec une première phrase, une dernière phrase et toutes les péripéties entre les deux, même si on sait qu'il faudra en reprendre de gros passages, plutôt qu'un texte inachevé dont on galère à poser le point final. C'est une des grandes leçons que j'ai apprises à mes débuts, notamment avec le NaNoWriMo. Arriver au bout est un cap très fort symboliquement. D'ailleurs, je le vois beaucoup dans les communautés d'écrivains amateurs : il y a beaucoup d'histoires commencées, mais pas tellement d'histoires achevées.
Donc je vais au bout d'abord, et je corrige ensuite.

Cas extrême : j'ai écrit la fin de Fils du Miroir (ne cherchez pas, le roman n'a jamais été publié) en sachant que je n'allais pas la garder. Le premier jet s'achève ainsi juste après le gros badaboum final sur le départ de deux personnages qui, en discutant, confirment une information qui n'est jamais énoncée clairement dans le reste du roman. Après correction, cette séquence disparaît. À la place, il y a un épilogue avec un bilan à froid sur l'intrigue et, pour finir, les retrouvailles entre deux (autres) personnages qui partent vers d'autres aventures.

Et vous qui écrivez, comment vivez-vous vos fins ?

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