Ce que l'on veut écrire, ce que l'on veut lire

On écrit parce qu'on aime lire, en général.
On écrit parce qu'on a une histoire qui veut sortir, toujours.
Mais si on écrit des textes dans le but qu'ils soient lus, on finit par remarquer un phénomène étrange : ce que l'on aime écrire ne correspond pas toujours exactement à ce que l'on aime lire.

Fanart de Freaks' Squeele : Chance, joyeuse, vole au-dessus de Xiong Mao qui n'est pas impressionnée.
J'ai pris une conscience toute particulière de ce décalage quand j'ai changé de statut sur la franchise Freaks' Squeele, passant de "fan de la première heure" (j'ai découvert le projet alors que Florent Maudoux démarchait les éditeurs pour son premier tome, et j'ai adoré dès le début) à "co-autrice". Depuis toujours, mon personnage préféré était Xiong Mao. Je m'identifiais à elle, à son côté sérieux, "no-nonsense", au milieu de la bande de jeunes foutraques et plus ou moins métahumains qui peuplaient le campus de la FEAH. Et voilà qu'au moment d'écrire, je m'amusais beaucoup plus à faire évoluer Chance.
Il n'empêche que dans les opus que je n'ai pas contribué à créer, je persiste à préférer Xiong Mao.

Et encore, là, c'est juste une question de goûts personnels. Dans Freaks' Squeele, les deux personnages ont leur place et leur importance. Parfois, en revanche, on touche à des choses qui sont sympas à écrire et beaucoup moins à lire.

Il y a quelque temps, sur les réseaux sociaux, une autrice demandait de l'aide pour améliorer un chapitre de son roman en cours, que la bêta-lectrice trouvait plat parce qu'il ne s'y passait rien. Elle-même convenait qu'il ne se passait pas grand-chose, donc plusieurs personnes lui ont demandé si le chapitre était bien utile. S'il n'était pas plus judicieux de le supprimer, et de réinsérer ailleurs les quelques informations qu'il devait faire passer.
Réponse de l'autrice : non, ce chapitre est important car il me permet de mettre mes personnages dans un autre environnement et de voir comment ils évoluent.

Ceci est mon take : ce chapitre était donc très probablement à supprimer.

Qu'il ait été important de l'écrire, ça ne fait aucun doute. En revanche, une fois que le bout de texte est posé, que l'on sait comment interagissent les personnages, il convient de se demander s'il est important que le lectorat le lise.

Les premières fois, ça fait bizarre de supprimer des choses. Surtout quand, comme moi, on part d'une situation initiale où on ne détaillait pas assez et où les réécritures allaient plus dans le sens de l'ajout.
C'est fini, maintenant : j'ai pris l'habitude d'être plus descriptive lors de la rédaction, donc presque tous mes romans passent par une phase d'édition où je raccourcis les dialogues et où j'élague tout ce qui ne fait rien avancer. J'en ai eu besoin pour progresser dans le premier jet, comme d'un échafaudage pour monter une structure. Maintenant que l'ensemble tient debout, on retire le fucking échafaudage et on laisse admirer l'œuvre qui est dedans !
Non, ça ne fait pas mal. Et si on a peur d'avoir supprimé un truc dont on a besoin, on enregistre une nouvelle version du fichier afin de conserver l'ancienne sous le coude.

Pièce à conviction numéro 1 :
La Dernière Fée de Bourbon, 680 000 signes au premier jet, 625 000 en fin de travail éditorial.

Statistiques Word du premier jet

Statistiques Word de la dernière version avant mise en page.

Pièce à conviction numéro 2 :
L'Enceinte 9, une demi-douzaine de chapitres entiers, purement et simplement sabrés afin de réécrire un début plus dynamique (un personnage secondaire a disparu dans l'opération).

Couverture de L'Enceinte 9

Bien entendu, il n'est pas forcément nécessaire de supprimer des passages quand on travaille sur un texte. Néanmoins, si des lecteurs font remarquer qu'une section est ennuyeuse, il peut être plus intéressant de la couper que de chercher à tout prix à y insérer des péripéties. Ce qu'il faut, c'est ne pas le prendre comme une attaque sur ce que l'on a écrit. La scène que l'on retire peut très bien avoir eu lieu quand même. Elle a juste fini de jouer son rôle, qui n'était pas d'aller jusqu'à la version définitive du roman. Un peu comme une scène coupée dans un film.

Il y a aussi le cas extrême de la phrase, voire du chapitre, que j'écris en sachant que ça sera coupé dès la prochaine version. Ainsi, cette ligne de dialogue dans le roman de SF 180 Femmes que j'essaie de vendre à un éditeur en ce moment même :

Nolwenn ne peut s’empêcher de sourire.
« Au lieu de faire votre Ségolène, s’il vous plaît, dites-moi juste ce qui se passe. »

Le passage a été écrit à une époque où Ségolène Royal s'excusait beaucoup et où ça faisait rire. Je savais que la blague ne devait pas rester. Pourtant, il fallait que ça sorte. Alors je l'ai écrit. Mais ça n'est plus dans le roman, et ce, depuis la deuxième version du texte. D'ailleurs, l'échange dont la phrase est tirée a été passé en discours indirect pour être résumé, afin de gagner en dynamisme.

Bref.
Travailler un texte, c'est aussi se mettre à la place du lectorat et se dire que ce que l'on a aimé écrire, d'autres n'aimeront pas forcément le lire.
Et que ça ne remet pas en cause le plaisir qu'on a pu avoir à l'écrire, sur le moment.

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