Writever de mars 2021

Le Writever, ça se passe sur Twitter, ça descend d'une longue lignée de challenges du type Inktober, avec un thème par jour et beaucoup de liberté créative.
Personnellement, je le fais en improvisant (interdiction de poser un plan bien que la liste de thèmes mensuelle soit connue avec un peu d'avance) une nouvelle écrite à raison d'un tweet par jour.

En mars 2021, le thème était... Mars. La planète.


Et ça a évidemment abouti à quelque chose de... pas vraiment abouti, en fait.
Voici le résultat sans retouche.

Mon plus ancien souvenir, c'est la plaine. Le sable noir brûlant. Les montagnes au loin. Les villages blottis le long du ruisseau, là où poussait la seule végétation. En marchant quelques pas, on entrait dans le désert.
J'ai grandi, suivi la rivière, trouvé la mer. Le reflet du soleil sur les vagues, les bateaux de pêche rentrant au port. Une autre étendue, une suite de petits boulots, une vie.

Que fais-je aujourd'hui à fond de cale avec des entraves et des compagnons d'infortune tout en barbe et en tresses ? C'est compliqué.

La machine a fendu le ciel, touché terre dans l'arrière-pays, et la terre a tremblé. On a cru à une météorite, au début. À un cratère de plus dans le sol.
Et puis les chars ont envahi la ville. Des traces de chenilles dans les rues. Des impacts de balles sur les murs. Les mots sont venus, des combats lointains, un conflit d'une échelle telle que nous n'étions que des moucherons à la circonférence d'un empire. Il a fallu se rendre.
Je me suis fait arrêter en tentant de forcer le barrage pour rejoindre le village de mon enfance.
"On ne franchit pas le périmètre", m'a-t-on dit.
J'ai attendu mon procès dans une cellule de la machine, avec pour seule compagne une collection de chroniques judiciaires qui m'a permis de comprendre que je ne devais rien espérer. Nos vainqueurs ont la loi pour eux. Avec un seul tribunal pour toute la planète, sur Solis Planum, j'ai eu le temps d'apprendre le livre par cœur avant l'audience. Au mieux, je risquais quelques mois de travaux forcés. Au pire, la déportation sur une lune de Saturne, sans grande chance de retour.
Le jour du procès, nous étions quelques dizaines dans le box, pour aller plus vite. La faible pression transformait ma sueur d'angoisse en nuage de vapeur. Mon tour a été expédié en quelques mots :
"Cinq ans de travaux forcés dans les mines de Promethei Terra."
J'aurais pu tomber plus mal : Promethei Terra s'exploite à ciel ouvert. Dans d'autres lieux, sur d'autres mondes extraterrestres, je n'aurais plus vu le jour.
Mais cinq ans, même cinq courtes années standard terriennes, c'est cher pour avoir voulu rentrer chez moi.
Sentence à exécution immédiate, ne passez pas par la case départ, ne touchez pas vingt mille drachmes. Direction le pénitencier d'Olympus Mons où attendaient d'autres détenus condamnés à la mine.

Le vaisseau a fendu les grands espaces que j'entrevoyais par le hublot. Certaines hauteurs arboraient encore un rouge vierge de toute végétation, en particulier aux abords du volcan. Moi qui avais vécu libre le long d'une même rivière, une fois en détention, je découvrais plus de paysages que jamais auparavant. De quoi avoir le vertige. Et puis il y en a un qui a foiré sa mission : le pilote.
On a accroché un rocher, dévié de la trajectoire et fini en crêpe au fond d'un cratère.
Quand j'ai ouvert les yeux sur la poussière dansant dans le ciel rose, j'ai espéré que l'accident me vaudrait une grâce. Ensuite, j'ai vraiment repris mes esprits, et compris que c'était mal engagé : il n'y avait personne autour, à part quelques cadavres.
Soit tout le monde était réduit en purée, soit l'équipage avait évacué sans moi.
J'étais dans le désert, sans vivres ni assistance.
J'ai volé la gourde d'un cadavre et rampé hors du cratère, hors d'haleine à cause de la faible pression. La silhouette du volcan était le meilleur point de repère du monde. Très beau, mais très loin.
Aucun véhicule en vue. Je n'avais plus qu'à marcher. Longtemps. Le pôle pénitentiaire n'était pas la porte à côté, mais je visais les installations sur les contreforts du mont. Des villages, des usines, où me réfugier.

Le lendemain du crash, un sifflement m'a vrillé les oreilles et un aéronef s'est posé.
"Hello ! Besoin d'aide ?"
Entre la faim, la soif et le froid, pas question de refuser. J'ai résumé ma situation à la pilote.
"Vous avez survécu ? Vous êtes du genre costaud, vous ! Allez, grimpez."
J'ai pris place à bord et nous avons atteint son village juste avant l'arrivée d'une tempête.
Un câble a lâché, coupant l'électricité à tout le village. Seuls quelques panneaux solaires faiblards alimentaient le strict nécessaire dans un rayon de cent kilomètres. Autant dire que venir me chercher n'a été la priorité de personne pendant une bonne semaine.
Quitte à être là, j'ai donné un coup de main.
Là aussi, la guerre avait pris son dû. Les traces des blindés restaient visibles au fond des ornières et il y avait des murs à remonter, des plomberies arrachées, des toits manquants. Mes bras étaient les bienvenus.
Le temps de briser la glace, de me faire accepter, et les liaisons étaient rétablies.

On m'a envoyé une navette, direction le pôle pénitentiaire où attendaient mes futurs compagnons, coupables de s'être rebellés contre nos vainqueurs dans la caldeira d'Arsia Mons. Des gars qui défoncent les chars à la masse, ça force le respect.
Loin des coupes hygiénistes et millimétrées à la mode, ils arborent des looks que n'auraient pas reniés les métalleux de l'ancien temps. Je détonne parmi eux dans le convoi qui nous mène aux mines.
Quand ils m'ont demandé ce que je faisais là, j'ai menti pour donner le change. J'ai prétendu avoir joué les éclaireurs pour fomenter une révolte contre l'armée d'occupation. Je ne sais pas s'ils y ont cru, mais le gardien était hilare.
Au moins, nous nous entendons.

Promethei Terra approche. Les autres chuchotent entre eux, mais je ne parle plus : gorge trop serrée. Sur l'écran de la cale, je crois bien avoir reconnu ma rivière.
J'aurais voulu qu'on s'arrête là, quitte à s'écraser encore. Mourir peut-être, mais mourir chez moi.

Voici la mine : des engins creusant les falaises, des convoyeurs, des logement spartiates, le tout entouré de murs assez hauts pour boucher l'horizon. Adieu les paysages de mon monde terraformé.
Alors que nous descendons, une masse brillante apparaît dans le ciel. Les gardiens nous poussent aussitôt vers les logements. Ils n'ont pas l'air rassuré. Pourquoi ?
Soudain, un extracteur explose. Le souffle nous couche à terre dans un fracas assourdissant d'armes à feu.
Le combat ouvre une brèche dans le mur. L'opportunité de fuir ? Je me cache sous des débris avant de ramper. Peu importe qui attaque dans cet appareil : pris entre deux feux d'un système qui nous dépasse, nous pouvons au moins tenter de sauver notre peau.
— Je te tiens, camarade ! s'exclame un des costauds d'Arsia Mons.
Il me tire hors des murs, avec d'autres fugitifs. La fumée assombrit tout, effaçant la teinte rosée que l'atmosphère n'a jamais vraiment perdue. Quand cesserons-nous d'être rattrapés par des guerres décidées par d'autres, au nom d'empires qui nous écrasent ?
L'horizon se charge d'appareils de mort. Nous nous cachons pour ne pas finir en victimes collatérales, sans savoir si l'ennemi veut prendre la mine ou la détruire. Et nous, là-dedans ? Quantité négligeable. Poussières prises dans la gravité des corps belligérants. D'une carcasse à l'autre, la fuite paraît interminable. Nous nous abritons enfin dans une vieille casemate.
— Détruire, peste un de mes compagnons. Ils ne savent faire que ça.
— C'est pour ça qu'il nous faut une révolution, répond un autre. Vivre notre vie, libres !
Je les écoute se réchauffer le cœur à coups d'appels à l'insurrection, sans oser dire qu'un tel soulèvement serait aussi efficace qu'une cale en bois pour contrer la tectonique terrestre.
Rendez-moi juste ma plaine, ma rivière, mon littoral. Je ne veux rien d'autre.
Ils parlent d'un canyon au nord de la zone, où nous pourrions vivre clandestinement.
Et ensuite ?
Le calme retombe dehors. Plus de munitions ? De combattants ? Je risque un œil à la fenêtre quand un fusil me surgit sous le nez.
— On ne bouge plus ! gronde un soldat.
Un peu plus et je tombais dans le panneau : en fait, il est tout seul, avec de grands yeux paniqués derrière sa visière.
— Vous nous arrêtez ? raille un des costauds. Attendez-vous à une belle opposition.
Il regarde ses chaussures.
— Je crois qu'ils sont tous morts.
On le désarme, on vérifie ses dires.
La mine est détruite. Et maintenant ?
— Tu diras qu'on est morts.
Le soldat acquiesce. Nous le laissons en arrière, pour fuir avant l'arrivée des secours.
— Allez, camarade ! Tu reverras ta rivière.
Je veux y croire. J'avance.

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